Cette action était traditionnellement ouverte à l’associé pour obtenir réparation de son préjudice personnel ( Cass. crim., 9 juill. 1996, no 95-84.335, RJDA 1996, no 1480, p. 1036). Pour rendre la constitution de partie civile des associés recevable, ce préjudice devait être en relation directe avec l’abus de biens sociaux ( Cass. crim., 6 janv. 1970, no 68-92.397, Rev. sociétés 1971, p. 25 ; Cass. crim., 28 avr. 1981, no 80-90.186 ; Cass. crim., 20 févr. 1989, no 87-80.164 , rendu à propos d’actionnaires, en même temps fournisseurs de la société ; Cass. crim., 29 mai 1989, no 87-83.379 ; Cass. crim., 8 nov. 1993, no 93-80.056, BRDA 1994, no 2, p. 4 ; Cass. crim., 26 févr. 1998, no 96-86.505, Rev. sociétés 1998, p. 604, note Bouloc, rendu à propos de cessionnaires de parts sociales, ayant découvert, après leur entrée dans la société, les agissements illicites des anciens dirigeants). Et, pour la Cour de cassation ( Cass. crim., 23 juin 1980, no 80-90.692, Bull. crim., no 200, p. 523 ; Cass. crim., 5 nov. 1991, no 90-82.605, Bull. crim., no 394, p. 997), aucun texte n’exigeait même des actionnaires se constituant partie civile devant le juge d’instruction, qu’ils prouvent avoir été détenteurs de leurs titres à la date des faits frauduleux allégués à l’encontre de leurs dirigeants.
Mais cette position d’ouverture de la chambre criminelle à l’égard de l’associé agissant, non pas ut singuli (voir no 710), mais bien à titre personnel, paraît bien avoir été abandonnée à partir de 2000. En effet, dans un arrêt du 13 décembre 2000 ( Cass. crim., 13 déc. 2000, no 99-80.387, Bull. crim., no 373, p. 1135, JCP E 2001, no 14, p. 590, Bull. Joly 2001, p. 497, JCP E 2001, no 27, p. 1138, note J.-H. Robert, RJDA 2001, no 5, no 593, p. 528), la chambre criminelle a précisé que « la dépréciation des titres d’une société découlant des agissements délictueux de ses dirigeants constitue, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même ». En l’espèce donc, elle a approuvé une cour d’appel d’avoir rejeté la demande d’un actionnaire en remboursement de sa créance en compte courant et en réparation de la perte de son investissement du fait de l’abus de biens sociaux commis par le président du conseil d’administration : la créance alléguée était bien sans lien de causalité directe avec l’abus de bien social, et il n’était pas davantage démontré que la perte de valeur d’un investissement dans la société découle directement du même délit (cf. de même Cass. crim., 18 sept. 2002, no 02-81.892, Bull. Joly 2003, p. 63, RJDA 2003, no 2, no 146, p. 124).
Et, plus nettement encore, dans un arrêt du 5 décembre 2001 ( Cass. crim., 5 déc. 2001, no 01-80.065, Bull. Joly 2002, p. 492, note Le Nabasque), la Cour de cassation précise que « le délit d’abus de biens sociaux n’occasionne un dommage personnel et direct qu’à la société elle-même et non à chaque associé ».
Cela étant, dans cette nouvelle approche restrictive, on relèvera, de manière discordante, un autre arrêt ( Cass. crim., 21 nov. 2001, no 01-81.178, Bull. Joly 2002, p. 398, note S. Messaï) indiquant que dès lors que les faits reprochés dans une plainte déposée par un actionnaire et au nom de la société pour prise illégale d’intérêts par des fonctionnaires recrutés par la société et d’anciens ministres ayant eu des responsabilités dans le secteur d’activité de la société constituent également un abus de crédit de la société, il en découle un préjudice direct pour l’actionnaire. Et on notera, par ailleurs, qu’un tel préjudice direct et personnel subsiste également aux yeux de la chambre criminelle dans le cas d’un autre délit éventuellement commis par le dirigeant : celui de présentation ou de publication de comptes infidèles ( Cass. crim., 30 janv. 2002, no 01-84.256, JCP E 2002, no 14, p. 592). Mais, en revanche, s’agissant de l’abus de pouvoirs, la solution est bien la même que pour l’abus de biens sociaux : « le délit d’abus de pouvoirs commis par un dirigeant de la société cause, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même » ( Cass. crim., 11 déc. 2002, no 01-85.176, Bull. crim. no 224, p. 825, Bull. Joly 2003, p. 433, note Dezeuze, Rev. sociétés 2003, p. 145, note Bouloc).
On notera qu’a été admise devant le juge d’instruction la constitution de partie civile formée par l’actionnaire de la société mère pour un abus de biens sociaux commis au préjudice de la filiale ( Cass. crim., 6 févr. 1996, no 95-84.041, Dr. & patr. 1996, no 39, p. 83, Obs. Bertrel, BRDA 1996, no 4, p. 5, JCP éd. E 1996, II, no 837, note Renucci et Meyer). Mais, compte tenu du revirement opéré par la chambre criminelle le 13 décembre 2000, il semble bien aujourd’hui que cette recevabilité de la constitution de partie civile de l’actionnaire de la société mère implique qu’il se présente comme agissant ut singuli, c’est-à-dire exerçant l’action sociale elle-même (cf. Cass. crim., 4 avr. 2001, no 00-80.406, JCP E 2001, no 46, p. 1817, note Robert, D. 2002, p. 1475, note Scholastique).
La constitution de partie civile peut également émaner d’une association de défense d’investisseurs en valeurs mobilières, mandatée par au moins deux actionnaires ayant subi des préjudices personnels en raison de l’abus de biens sociaux (cf. C. mon. et fin., art. L. 452-2 ).
En cas de fusion, les associés de la société absorbante sont recevables personnellement à demander réparation du dommage résultant d’actes délictueux commis au préjudice de la société absorbée par ses dirigeants sociaux ( Cass. crim., 2 avr. 1998, no 96-82.991, RJDA 1998, no 987, p. 723, Rev. sociétés 1998, p. 614, note Bouloc, Bull. Joly 1998, p. 969, note Barbièri, BRDA 1998, no 9, p. 4). Cette solution a été réitérée par la chambre criminelle dans un arrêt du 2 avril 2003, donc après le revirement relatif au préjudice invoqué par les actionnaires. Dans cet arrêt ( Cass. crim., 2 avr. 2003, no 02-82.674, Bull. crim., no 83, p. 326, D. 2003, p. 1504, JCP E 2003, no 968, p. 1073, RJDA 2003, no 1190, p. 1033, Bull. Joly 2003, p. 929, Rev. sociétés 2003, p. 568, note Bouloc), la Cour de cassation permet même aux associés de l’absorbante de demander réparation de dommages résultant d’actes délictueux subis par des filiales de l’absorbée.